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La Forêt amante de la mer

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La Forêt amante de la mer
Type de projet
Forestation terrestre et aquatique

Partenaires


Concepteur
Shigeatsu Hatakeyama

Lieu
Kesennuma, Japon
Milieux
Sur la côte / Rivage / Littoral / Estran / Milieu côtier, Dans les terres / Rivières / Forêts / Milieu terrestre

Catégorie
Paysage & Ecologie

Type de projet
Recherche / Expérimentation, Approche par le paysage / Penser avec le vivant

Modalité d'adaptation
Recomposer autrement / Penser avec la profondeur du territoire / Retisser les liens / Prendre en compte les interdépendances, Composer dans un monde multispécifique / Régénérer et préserver les pouvoirs du vivant

Page du projet

Contexte du projet

La rivière japonaise Okawa a subit une marée rouge sans précédent à la fin des année 80. La baie de Kesennuma est alors très fortement touchée et doit faire face à une dégradation son écosystème marin, alors que cette région abrite une biodiversité aquatique d’une rare richesse et une grande culture de la pêche et de l’ostréiculture.

Qu’est-ce qu’une marée rouge ? 

Certains phytoplancton (plancton végétal) ont la capacité de proliférer au point de décolorer la surface de la mer et de produire une « marée rouge », faite de millions de cellules par litre d’eau. Les algues microscopiques constituant ces efflorescences sont une gourmandise très recherchée par les huîtres, les moules, les coquilles Saint Jacques et les palourdes. Cette prolifération est liée à un état d’eutrophisation, pouvant avoir des causes naturelles ou anthropiques. L’eutrophisation est la dégradation d’un environnement aquatique par une augmentation des substances nutritives présentes, telles que l’azote apporté par les cultures agricoles industrielles ou la pollution automobile.

Quel impact sur la vie marine ?

La marée rouge implique des conséquences écologiques graves liées à la mort des poissons et des organismes benthiques causés directement par les toxines produites par certaines micro-algues, ou indirectement à cause du manque d’oxygène dû à la décomposition de toute la biomasse algale. C’est un phénomène dégénératif pour l’écosystème. En raison de leur nature d’organismes filtrants, les mollusques bivalves et les huîtres ont tendance à accumuler les toxines présentes dans l’eau dans tous leurs tissus. Une huître, par exemple, filtre jusqu’à 200 litres d’eau par jour. 

L’engagement d’un ostréiculteur pour régénérer la vie marine – Shigeatsu Hatakeyama

Après cette catastrophe, l’ostréiculteur Shigeatsu Hatakeyama, a cherché le moyen de sauver ses huîtres et la vie marine. Sa famille ayant vécu dans cette région depuis des générations, ce milieu fait désormais partie de lui, autant la mer, que les poissons, le rivage, les forêts ou les rivières. Il tente alors de repeupler sa baie de phytoplancton (qui furent intoxiqués par l’azote). Pour cela, il faut les nourrir, notamment en fer, pour qu’ils retrouvent leurs propriétés d’origine. C’est en appréhendant le littoral dans son entièreté, dans sa profondeur et dans ses interrelations avec la forêt en amont, qu’il va découvrir que les écosystèmes de la forêt peuvent nourrir la vie marine. Comme Shigeatsu Hatakeyama l’explique si bien dans son livre « la forêt et la mer sont liées dans une étreinte éternelle ».

Les concepts clefs 

Comment la forêt et la mer sont-elles reliées ? 

Après dix ans de recherche et plusieurs voyages pour rencontrer des spécialistes de ces milieux, Shigeatsu Hatakeyama découvre que les feuilles des arbres possèdent du fer non oxydé, contrairement à celui du sol qui oxyde avant de couler. Il fait ensuite le lien avec la vie marine et comprend que ces feuilles contiennent ce dont les phytoplanctons ont besoin, ce dont tout l’écosystème marin de sa baie a besoin.

Il découvre ainsi une relation très intime entre l’écosystème marin, les rivières qui l’approvisionnent, et la forêt. En amont de la mer, on trouve les rivières qui traversent les forêts et transportent les feuilles de ses arbres. La forêt, et les feuilles de ses arbres, peuvent ainsi nourrir les phytoplanctons de la mer, qui nourrissent à leur tour l’écosystème marin par l’oxygène qu’ils apportent et par les nombreuses espèces qui dépendent de leur bien être pour se développer. Les huîtres en font partie. Une fois ce parcours vivant clairement tracé dans son esprit, il décide de passer à l’action.

Comment utiliser ce lien pour restaurer l’écosystème marin ? 

Shigeatsu Hatakeyama a alors lancé un projet de reforestation en amont de la baie de Kesennuma. Une forêt, appelée “Oyster Forest” (La Forêt des Huîtres), est placée sur un plateau à 800m de hauteur. Après vingt ans de forestation, la mer en aval retrouve enfin un nombre de phytoplancton de qualité nécessaire pour nourrir les huîtres, et de nombreux poissons et vie marine.

Cette découverte a également permis de développer une nouvelle technique de pêche. Le principe est simple : couper certaines branches bien feuillues d’arbres de la forêt, les regrouper, les ficeler ensemble, laisser des espaces entre les feuilles et, enfin, les plonger dans la mer, feuilles vers le bas. Sous l’eau, les crevettes et petits poissons entrent dans cette forêt aquatique, à la recherche d’oxygène et de fer, les anguilles viennent s’y nourrir et peuvent ensuite être pêchées. Les arbres aquatiques utilisés sont laissés dans l’eau. Ils servent alors de berceaux pour protéger les jeunes poissons.

Jusqu’où ce projet a-t-il sauvé l’écosystème marin de cette baie ?

Le 11 mars 2011, un tsunami considérable frappe la baie de Kesennuma, « un rappel physique du terrifiant pouvoir de l’eau », dit Shigeatsu Hatakeyama. 90% des maisons du village furent détruites. Beaucoup d’espèces vivantes disparurent.

La plus grosse inquiétude de l’ostréiculteur fut de savoir si les phytoplanctons étaient toujours en bonne santé, car ils sont à l’origine de beaucoup de vies marines. Et en effet, il y avait toujours plus de phytoplancton que toutes les huitres de la région ne pouvaient manger… Comment ? Les scientifiques répondirent : « La mer ne l’a pas fait, c’est le bassin hydrographique sain qui a permis l’amélioration. ». La forêt a sauvé la mer.

Shigeatsu Hatakeyama a, par la suite, écrit le livre La Forêt amante de la mer pour partager de ses découvertes et raviver à nos esprits les interdépendances, relations et connexions naturelle qu’ont tous les éléments du vivants entre eux : « Tous les êtres vivants sont interdépendants, et les humains sont inclus dans ce cercle. ».

Pourquoi on en parle ? 

L’importance de comprendre les écosystèmes de manière holistique 

L’expérience de Shigeatsu Hatakeyama nous intéresse par la relation intime qu’il met en lumière entre tous les êtres et les milieux qui composent le vivant. On ne peut pas penser la mer sans penser la forêt, tout comme on ne peut pas penser l’huitre sans penser le phytoplancton, les fonds marins sans l’oxygène, les arbres sans les feuilles, la montagne sans la rivière. Il a su déceler à l’échelle cellulaire, unitaire, ce qui lie tous ces écosystèmes pour n’en faire qu’un seul. La mer n’est plus un espace à part, une continuité se recréait.

A travers son témoignage et ses expérimentations, Shigeatsu Hatakeyama rappelle également que ces interdépendances sont aussi existantes entre les activités humaines (ostréiculture) et les milieux dont elles dépendent. Comme nous le racontait Alix Levain, anthropologue, lors de notre interview pour la mission Loire-Bretagne : « L’interdépendance des activités est très manifeste entre un ostréiculteur en aval, et un agriculteur en amont. Si l’on arrive à reconnecter ces activités, je pense que l’on peut changer beaucoup de choses. Parce que c’est difficile de reconnecter uniquement l’agriculture à son territoire par la mise en place de circuits alternatifs de consommation. Il se passe des choses, mais ça reste significativement limité. Alors que si l’on repense la relation Terre-Mère à partir de l’activité productive, on peut aller beaucoup plus loin. »

De plus, le cas de Shigeatsu Hatakeyama inclut l’homme de manière très poétique dans cette démarche de reconnexion du vivant et des activités, puisqu’il y prend sa place comme simple liant, soutenant ce que la nature produit par elle-même.

La résilience qu’elle apporte face aux catastrophes anthropiques et naturelles

Cette connexion entre la forêt et la mer a permis une résilience et une régénération de l’écosystème marin à l’issue de la marée rouge, puis du tsunami, des catastrophes anthropiques et naturelles. Elle inspire énormément sur les multiples adaptations naturelles au changement climatique qui existent et que l’on se doit encore de découvrir. La nature, dans son entièreté, est une base solide pour nos recherches puisqu’elle a cette résilience par elle-même au changement, si tant est qu’on la laisse s’exprimer. 

Une expérimentation sur le temps long

Toute cette démarche représente le travail d’une vie. La forestation pour nourrir la vie marine était un pari sur le temps long qui a rendu l’écosystème d’aujourd’hui bien plus résistant et résilient. Ce projet fait écho à la problématique de l’unique intervention dans l’urgence. De nombreux autres scenarii, comme ceux que l’on connaît trop bien en France ou en Outre-mer, auraient pu être adoptés à l’issu des catastrophes anthropiques et/ou naturelles qu’a subi cette baie. Celui de Shigeatsu Hatakeyama nous montre que certaines solutions sont plus adaptées lorsqu’elles considèrent l’entièreté du monde vivant, et le temps qu’il met pour s’épanouir, puis créer toutes les connexions nécessaires à la pérennité de son développement.