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Éric Chaumillon

Portrait
Éric Chaumillon -

Éric Chaumillon est maître de conférence en géologie et enseignant chercheur au laboratoire LIENSs de l’université de La Rochelle et du CNRS. Ses recherches portent sur la dynamique des littoraux et l’archivage sédimentaire des changements environnementaux permettant d’observer les variations du niveau marin, les changements climatiques, les tempêtes ou les tsunamis. Il est en parallèle responsable de l’équipe « Dynamique physique du littoral », directeur adjoint de la Fédération de recherche en environnement et développement durable ainsi que responsable des Observatoires du littoral et de l’environnement de l’Université. Il est l’auteur de deux livres Hé..la mer monte ! et La mer contre-attaque ! (Éd. Plume de Carotte) co-écrits avec un YouTubeur Mathieu Duméry ainsi qu’un illustrateur de bandes dessinées Guillaume Bouvard. Les deux ouvrages ont été réalisés dans l’optique de donner des outils pour comprendre les causes de l’évolution du littoral à un large public.


Chroniques littorales de la sédimentation

Rencontre avec Éric Chaumillon, professeur des universités en géologie marine et littorale à La Rochelle Université et chercheur au laboratoire LIENSs. Nous avons abordé ensemble plusieurs thématiques : les effets du changement climatique, la montée du niveau de la mer, les transformations des paysages littoraux et des écosystèmes côtiers, nos difficultés à percevoir les changements en cours, le greenwashing et l’inaction politique…


Entretien réalisé par Klima (Sophie et Marie) à la Rochelle, le 18 Octobre 2021.

Habiter près de la mer pour étudier ce qui se passe sous l’eau…

Klima : Bonjour Éric, nous sommes ravies de te rencontrer aujourd’hui, peux-tu te présenter en quelques mots.

EC : Je suis professeur à l’université de La Rochelle en géologie marine. Cela fait un peu plus de 20 ans que je travaille dans cette université où j’ai vraiment focalisé mon attention sur les littoraux avec une démarche de géologue. C’est-à-dire étudier le passé pour comprendre le présent et éventuellement faire des projections sur l’avenir.

Klima : Une humeur du jour ? 

EC : C’est très positif, mais je suis assez débordé. Là, on sort un bouquin, ça me fait plaisir de voir ce travail achevé, j’ai des retours positifs et ça m’encourage malgré parfois une petite lassitude.

Klima : On a quelques questions sur ton rapport à la mer, où est-ce que tu as grandi ?

EC : Je n’ai pas grandi en bord de mer, mais pour une raison inexplicable, j’ai toujours voulu être marin et être au bord de la mer. Dès que ça a été possible, je me suis inscrit dans une école de voile et puis ça a été un électrochoc, ma vie a pris une voie qu’elle n’a jamais quittée depuis. J’ai toujours essayé d’être sur l’eau pour étudier ce qui se passe sous l’eau.

Klima : Est-ce que tu te souviens de ton premier contact avec l’eau ? Ton premier souvenir avec la mer ?

EC : Je me rappelle extrêmement nettement de ma première navigation, j’avais dix ou onze ans. Je me souviens de cette sensation très nette d’être libre sur l’eau. Sinon, c’est des souvenirs mélangés avec ceux de mes parents : visiblement, ils me mettaient dans l’eau tout petit. J’ai appris à nager très tôt et au bout de plusieurs heures, il fallait vraiment forcer pour me sortir. J’ai donc une relation à l’eau assez importante même si je ne sais pas pourquoi.

Klima : Ce n’est pas grave si on ne sait pas pourquoi… 

EC : C’est le côté irrationnel, j’ai beau être scientifique, j’accepte pas mal l’irrationnel et le côté sensible.

Klima : À quel rivage tu te sens attaché ou relié ? 

EC : J’aime beaucoup l’endroit où j’habite, mais je ne vais pas dire que c’est le plus bel endroit du monde. Je crois que l’endroit qui m’a fait le plus flash au niveau littoral, c’est l’Alaska, la Colombie-Britannique. Le Nord-Ouest américain, c’est vraiment un truc qui t’arrête le cœur, j’étais en apnée de voir des paysages aussi beaux, aussi fous.

Klima : C’est quoi des paysages aussi fous ?

EC : C’est la nature sans traces humaines. On voit des glaciers qui tombent dans la mer, des forêts immenses avec des grands arbres et si on a de la chance, on peut observer une baleine qui souffle, un ours qui soulève des cailloux pour chercher à manger. Ça, c’est vraiment ce qui m’a donné le plus de sensations en termes de rivages.

Klima : Et là où tu habites c’est où exactement ? 

EC : J’habite à La Rochelle, dans une petite maison, pas très loin de l’hypercentre. Je n’ai pas la vue sur mer, mais, ce n’est pas trop mal. Ça me permet d’aller travailler à vélo.

Klima : Une question sur ton parcours. Comment en es-tu venu à exercer cette profession de chercheur en géologie marine ?

EC : J’ai passé un bac scientifique parce que j’ai toujours aimé les sciences de la nature. Ensuite, à l’université lors de mon master, j’ai fait une rencontre avec un professeur, et là, c’était un peu comme monter sur mon premier bateau comme je vous disais tout à l’heure. Cette rencontre m’a fait réaliser que je n’étais pas là par hasard et que certaines personnes pouvaient me faire rêver.

Klima : Et aujourd’hui tu es heureux ?

EC : Oui, je suis heureux. J’ai la chance avec mon travail de géologue de beaucoup voyager. Je travaille sur les littoraux français, mais avec la paléoclimatologie, je travaille aussi en Afrique et ailleurs. Ça permet de relativiser sur nos propres conditions d’existence, quand on est comme nous dans un pays riche, les changements climatiques vont accentuer les inégalités et impacter les conditions de vie sur terre de manières très différentes selon les pays…

Klima : Quel est le pourcentage de la population global qui émet le plus de carbone ? 

EC : 7% de la population produit la moitié des gaz à effet de serre. La certitude que j’ai acquise au bout de pas mal d’années de réflexion, c’est que le changement climatique est vraiment un sujet politique. C’est comme l’anthropocène parce que c’est une minorité qui décide, c’est une minorité qui consomme, qui produit des déchets. Par contre, c’est tout le monde qui trinque et ce sont souvent les plus pauvres.

Évolution de la prise en compte du changement climatique, ou stagnation ?

Klima : Est-ce que tu penses qu’il y a une évolution dans la prise en compte ou la compréhension de la complexité des phénomènes liés aux changements climatiques ?

EC : En plus de 20 ans, depuis que je m’adresse au grand public et que j’ai des implications directes avec les gestionnaires et les politiques, je trouve que ça a changé. Je me rappelle d’une intervention à l’Assemblée nationale ou certains groupes parlementaires m’avaient dit de ne pas parler de recul face à la montée des eaux, qu’on n’était pas un pays de perdants, qu’on ne reculerait pas, mais aujourd’hui, je l’entends moins… 

Klima : Et en même temps, ils ne mettent rien en place pour reculer non plus. 

EC : À la question, est-ce que je sens des différences ? La réponse est oui, par exemple quand je suis en cours en amphi et que j’évoque le changement climatique, je sens une attention qui revient. Je vois bien que les jeunes sont touchés, j’ai un certain nombre de retours qui me montrent que les choses sont en train de changer.

Réduction de la complexité

Klima : Quels risques, il peut y avoir à toujours vouloir simplifier une problématique complexe quand on parle de changement climatique et quand on réduit le changement climatique sur les littoraux à la montée des eaux, alors qu’en fait, il peut y avoir par exemple des sécheresses énormes qui demandent à changer nos modes de cultiver ?

EC : Il faut trouver un réglage lorsqu’on travaille en groupe, par exemple, lorsque je fais des conférences ou que j’écris des livres, j’essaie d’être vraiment à l’écoute de ce que me disent les YouTubeurs qui sont vraiment des professionnels de la transmission de connaissances. J’essaie d’être à l’écoute, mais sans trop simplifier. Le discours est complexe, mais on est obligé de réguler, de trouver des compromis. 

Klima : Mais pas seulement au niveau scientifique, on parlait aussi du discours ambiant, même au niveau des médias.

EC : C’est ce qu’on explique aussi, c’est-à-dire que la montée du niveau de la mer est quand même très lente. Donc ce n’est pas un problème sur le court terme. Par contre, ce qu’on essaie de faire comprendre, c’est que les échelles d’espace et de temps d’une élévation de niveau de quelques millimètres par an ou quelques centimètres par an, ça peut paraître anodin, mais sur les milliers d’années ça a un impact. C’est là où mon travail de géologue revient en avant.

Transmettre autrement

Klima : Comment réagir à cette injonction de la solution pour se rassurer et finalement ne pas changer nos modes d’habiter ? On le retrouve souvent justement quand on parle de changement climatique.

EC : Il y a vraiment des façons de communiquer. Il y a la façon d’Aurélien Barrau qui liste tous les problèmes et qui nous laisse les bras ballants. D’après ce que disent les psychologues, ça tétanise et ce n’est pas très bon.

Il y a des voies alternatives, je ne sais pas si on saura les prendre, mais c’est vrai qu’elles existent. Nous, c’est cette voie-là qu’on a choisie. Les sciences de la vie et de la terre ont leur mot à dire quant à la préservation des écosystèmes dans une perspective d’adaptation. Observer la nature, voir comment elle fonctionne, mieux la comprendre. Et puis à partir de là, ne plus être contre la nature, mais être avec la nature et observer toutes les options possibles. 

Klima : On est convaincu de ça aussi. Mais on se rend compte que cette injonction à la “solution” dans presque tous les discours, cela peut aussi fausser notre manière de comprendre ou de voir le problème. Par exemple, cela ne permet pas de requestionner de manière radicale le système dominant. Si on propose des solutions alors au final, on est tenté de continuer à faire pareil…

EC : C’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui. Par exemple, on va faire de la monoculture intensive pour planter des arbres sous prétexte que ça pompe du carbone. Mais en parallèle, ça va détruire toute une biodiversité puisqu’il n’y a rien de pire que de planter des pinèdes en monoculture là où il y avait une forêt tempérée avec toute une variété de plantes, de sous-bois et d’êtres vivants qui étaient en dessous. Donc, on a des arbres, mais en dessous, ce sont des déserts. Sans aller plus loin qu’à La Rochelle, on a affiché une volonté d’être un territoire “zéro carbone…”

Plan bleu – zéro carbone ou permis de continuer comme avant ?

Klima : Oui, on s’interroge sur ce Plan Bleu de la ville de La Rochelle. 

EC : C’est super, parce que ça implique un dialogue et des échanges entre toutes les strates de la société. Moi, ce que j’aimerais bien, c’est avoir un entretien avec le Maire, Jean-François Fountaine, ou une équipe rapprochée pour savoir qu’est-ce qu’on va faire derrière ? On a quand même l’impression qu’en piégeant du carbone dans les marais littoraux autour de la ville, on va pouvoir continuer à croître et à augmenter nos échanges, avoir toujours plus de bateaux qui font les allers et venues…

Klima : Oui, ce sont des puits de carbone qui n’ont pas été comptabilisés jusqu’à présent. Finalement, c’est comme une nouvelle manne qui absorberait le carbone et surtout qui permet de ne pas changer les choses. 

EC : Oui, ce n’est pas parce qu’on piège le carbone qu’on n’émet pas d’autres polluants. Il y a déjà ce problème-là. Alors, oui, les marais ce sont de super écosystèmes, il faut les préserver pour leurs multiples capacités, notamment celle de s’élever en même temps que le niveau des mers, tout en séquestrant du carbone. Mais ce discours-là a beaucoup plu parmi les personnages politiques parce que grâce à ça, on va pouvoir continuer le business as usual. 

Klima : C’est un fait sociétal : d’un côté, on protège, mais si on protège, pourquoi ne pas continuer comme avant, ou même faire pire ailleurs si on protège ici ?

EC : Oui, c’est certain, mais l’appel très fort à protéger les zones humides, il faut le maintenir quoi qu’il arrive.

Klima : Bien sûr, nous en sommes intiment convaincues nous aussi. Mais nous nous posons la question de cette double entrée, nous sommes bien conscientes qu’il faut les protéger, les sauvegarder, au-delà même de leurs catégorisations à des fins anthropocentriques. Mais nous sentons bien aussi qu’il y a cette reprise du discours scientifique de protection pour que rien ne change.

L’après tempête Xynthia, des digues qui donnent un sentiment de sécurité…

Klima : Xynthia a permis de faire évoluer les réglementations liées à la submersion et l’implication des politiques sur l’urbanisation du littoral. Mais aujourd’hui, on a l’impression que tout ça a été un peu oublié et que derrière des digues, finalement on est bien protégé… Qu’en penses-tu ?

EC : Xynthia a bouleversé les points de vue. Il y a vraiment l’avant / après avec une prise de conscience au niveau politique ainsi qu’au niveau des habitants du littoral. On a commencé à interdire de construire dans les zones basses, mais ce n’est pas facile. Quand bien même on répète ce message du niveau de la mer qui monte, des dangers prégnants, il y a quand même des gens qui veulent continuer à s’installer, tout simplement parce qu’ils ont investi, que ça leur a coûté cher et qu’ils trouvent ça injuste maintenant qu’ils ont des terrains bas, de ne pas pouvoir construire dessus. Même au niveau de La Faute-sur-Mer, où il a été imposé d’avoir une pièce de survie en hauteur, ça n’a pas été suivi. Ce sont beaucoup de maisons secondaires et les gens se disent que les tempêtes sont seulement l’hiver et donc ne le font pas. D’un côté, oui, ça a bouleversé les choses, on en parle beaucoup plus, mais l’après Xynthia, c’est reconstruire à l’identique en renforçant pour prévoir un aléa Xynthia+20. On n’a pas reculé.

Klima : Donc, aujourd’hui, il y a bien une interdiction de construire là où ce n’était pas encore construit ?

EC : Oui, c’est-à-dire qu’il y a des zones basses où aujourd’hui, on a interdit de construire.

Klima : Et celles qui étaient déjà habitées ?

EC : On a déconstruit un petit peu. 

Klima : Finalement construire des digues ou d’autres systèmes de protection peut donner l’impression qu’on est protégé, mais cela empêche de se confronter aux vrais problèmes : adapter nos modes de vie et nos modes d’habiter ? 

EC : Oui, la digue procure un sentiment de fausse sécurité. Cette histoire de digues, je pense que dans certains environnements avec de forts enjeux, en particulier quand il y a du patrimoine ça peut se concevoir. Ce qui n’est pas concevable, c’est de défendre tout en dur, c’est trop cher. Et puis c’est incompatible aussi avec nos objectifs de diminution de production de carbone et de consommation d’énergie. Ça commence à venir tout doucement, mais c’est extrêmement timide, les endroits où on recule aujourd’hui par rapport à ces digues, où on laisse l’eau revenir, ou on dépolderise, ce sont pour l’essentiel des zones naturelles.

On attaque un sujet très intéressant de conservation de la nature. Dans ces réserves naturelles, il y a une mosaïque d’habitats et puis un certain nombre d’espèces très protégées et très fragiles qui sont inféodées à un habitat très particulier. Si la mer regagne, cette espèce peut disparaître. Et c’est là où notre discours de géologue est intéressant puisque l’on voit les choses dans un temps plus long. On est là pour rappeler que les littoraux ont toujours évolué dans un sens ou dans un autre, c’est-à-dire reculé par rapport à la mer, ou avancé que donc les habitats se déplacent et que si parfois certains habitats disparaissent ce n’est pas si grave, si le même habitat existe un peu plus loin.

Klima : Sur les enseignements de la tempête Xynthia, est-ce que vous trouvez qu’on est bien préparé aujourd’hui ?

EC : Je pense que oui, on peut aujourd’hui amortir un événement comme Xynthia puisque tout a été reconstruit. Après, on s’est bien gardé d’anticiper la situation de 2100, là on est sur des travaux milieu du XXIᵉ siècle.

Klima : donc, là, on serait préparé pour 2050 ? Le fameux Xynthia + 20 ? 

EC : C’est ça. De la même façon que la plupart des bâtiments ne sont pas faits pour des vents de 200 kilomètres heure, car nous ne sommes pas soumis à des tempêtes tropicales en France métropolitaine, nous n’avons pas imaginé un événement Xynthia avec des vagues et un vent encore plus forts. Lorsqu’ils calculent, ils prennent un événement de référence qui est le pire que l’on connaisse, ors, on sait pourtant qu’il aurait pu être encore pire parce qu’il y aurait pu y avoir plus de vent. Mais comme cet événement est fictif, on ne le connaît pas, alors on prend un événement de référence connue et on a rajouté 20 cm.

Plus de submersions marines ?

Klima : Oui, il y a la montée des eaux au niveau graduel et il y a des tempêtes ponctuelles avec des impacts plus forts. À quelle fréquence des événements comme Xynthia ou plus forts que Xynthia peuvent arriver ?

EC : Ce que je peux dire, c’est que des événements de submersions pas tout à fait égales à Xynthia, mais des submersions majeures, on en a eu cinq au XXᵉ siècle. Si on prend la totalité des submersions depuis 500 ans, on en a eu à peu près 5 à 6 par siècle. Donc c’est quand même relativement fréquent. Avec un niveau plus haut, les probabilités de submersion sont plus importantes puisque ces problèmes de submersion, c’est le cumul du niveau de la mer avec une marée. Et à cela, vous ajoutez les effets de surcote qui sont d’un, voire de deux mètres, dans notre région pour les plus fortes. 

Klima : D’après les cartes qui sont aujourd’hui en accès libre, celle de Climate Central que vous connaissez, ou celle à l’échelle nationale la carte du BRGM, toutes les deux montrent de grandes zones de submersions que l’on voit ici en rouge. 

EC : Alors pour 2050, ils ont utilisé une autre application où on a la projection GIEC spatialisée, si on prend le scénario 8.5, donc business as usual, en 2100, on pourra avoir une élévation globale du niveau des mers au maximum de 1,1 mètre. Mais ça, c’est global. Or, on sait que la mer ne monte pas partout pareil. Donc, du coup, il y a une spatialisation qui a été réalisée et le BRGM l’a utilisée pour que ce soit interactif au niveau des côtes de France. Ils ont présenté tous les territoires qui sont sous le niveau des plus hautes mers. Et si on fait monter le niveau d’eau, forcément cette zone rouge va s’étendre. Mais pour autant, il n’y a pas la prise en compte des défenses de côtes sur ces cartes.

Klima : Donc toutes les digues existantes ne sont pas prises en compte ?

EC : Non, parce que si à chaque fois qu’on avait une marée haute ça s’inondait, on le saurait. Aujourd’hui, par exemple, dans le Marais poitevin, on est justement à peu près à zéro NGF, donc on est trois mètres en dessous des plus hautes mers, et pourtant ça ne s’inonde pas parce qu’il y a un système de défense des côtes.

Klima : Donc ces zones rouges ne veulent pas forcément dire que ce sont des zones dans lesquelles on aurait les pieds dans l’eau ?

EC : Si on maintient la défense de côtes, non, mais s’il y a un aléa qui passe au-dessus de la digue, là, c’est la catastrophe.

Klima : Finalement, ce n’est pas de la submersion graduelle, mais plutôt des tempêtes qui sont à craindre ? 

EC : Oui, tout à fait. C’est-à-dire, que si on prend l’aléa érosion, il touche principalement les dunes, à partir du moment où on commence à attaquer le fond de dune par des projections d’eau, on commence à avoir de l’érosion. Avec une évolution graduelle, on va attaquer de plus en plus fréquemment le front de dune. Les taux de reculs peuvent être de deux mètres ou de dix mètres par an et l’érosion ne fera qu’augmenter avec l’élévation du niveau des mers. Mais le plus souvent il n’y a pas de submersion dans les milieux dunaires, car une dune, c’est en général assez haut comme sept, dix ou vingt mètres NGF.

Par contre, dans un estuaire, les submersions liées aux tempêtes sont à craindre, en théorie, on devrait avoir un espace tampon comme une vasière qui passe progressivement à des prés-salés pendant des centaines de mètres sur une direction horizontale, puis celle-ci serait remplacée progressivement par des arbres, etc. Un espace qui serait inondé pendant les marées et que lorsqu’il y a une tempête formerait une zone de rétention sans enjeux. 

Pour les prés-salés, il faut imaginer d’autres pratiques agricoles : faucher, faire de l’élevage pour élargir la zone tampon entre les enjeux et l’océan. Si les pouvoirs politiques ne suivent pas et qu’ils ont décidé de maintenir les digues, on aura encore le même paysage qu’aujourd’hui en 2040 mais avec des digues plus hautes.

Dynamique sédimentaire et paléoclimatologie

Klima : Sur quoi tu as envie de lancer de nouvelles recherches ? Et d’après toi, quels sont les sujets ou les angles de recherche qui manquent aujourd’hui, qui ne sont pas ou peu traités ? Quand on parle de ces thématiques.

EC : Aujourd’hui, j’ai envie de faire des travaux sur les marais. J’aimerais comprendre jusqu’à quel point les taux de sédimentation et la séquestration sont vraiment efficaces. Ce qu’il manque de mon point de vue, c’est une vision paléoclimatique plus exhaustive. Il y a une infinité de travaux à faire pour retrouver, à travers les sédiments passés, les événements de tempête, les variations du niveau de la mer, tout ce qui s’est passé dans un passé relativement récent. On a beaucoup de marge d’erreur et pourtant, c’est là qu’il faudrait faire des progrès. Il faudrait absolument avoir plus de données pour quantifier le nombre de submersions, éventuellement voir s’il y a eu des tsunamis, leur période de retour… Ces événements de référence, on en a besoin pour prévoir les changements du climat.

Klima : Comment vois-tu les tsunamis à travers les recherches que tu fais ?

EC : Les tsunamis, c’est un peu comme les submersions catastrophiques liées aux tempêtes, c’est un événement extrême, très ponctuel dans le temps, qui fait monter quasiment instantanément le niveau d’eau et qui dépend à la fois du niveau d’eau général et de la topographie.

Klima : Et c’est sur ça ce que tu aimerais travailler ? 

EC : Oui, c’est ce sur quoi je travaille et il me reste à peu près dix ans de carrière et c’est là-dessus que je vais continuer. Après, je pense qu’il y a un truc qui m’intéresse beaucoup, qui est moins de la recherche, bien qu’on soit quand même sur des aspects pluridisciplinaires, c’est la transmission. Je me rends compte que d’afficher ou d’annoncer des courbes, des graphes, ça a un effet limité, pour qu’il y ait une meilleure écoute, pour qu’il y ait une meilleure prise de conscience, il faut s’associer avec d’autres chercheurs ou d’autres spécialités. 

Et donc c’est pour ça que j’accorde un temps croissant non négligeable à cette autre façon de faire de la recherche. Par exemple, j’ai des collègues plus jeunes que moi qui sont extrêmement brillants, ils vont vite, ils produisent beaucoup de nouvelles connaissances, etc. Mais, dès que je sors de cette sphère-là et que je vais dans le monde, je me rends compte du gap entre ces connaissances produites et la perception de la science au niveau des politiques, des gestionnaires, au niveau local ou national ou même international. Je me rends compte que rajouter un point de plus sur la courbe, ce qui aura demandé cinq ans de travail, ça ne fait pas du tout changer l’esprit des gens. Donc je me dis ça ne suffit pas, ça ne suffit pas d’accumuler de la connaissance, aussi précise soit-elle. Il faut transmettre et transmettre différemment.

Transformations des paysages

Klima :  Si on se place en 2040. Comment tu imagines la transformation des paysages littoraux avec l’entrée de l’eau salée ?

EC : Il y a une variable difficile à anticiper : comment ça va se passer au niveau politique, au niveau des décideurs ? Puisqu’il est acté, qu’on ne pourra pas tout défendre, puisqu’il est acté que la mer monte et qu’elle va continuer de monter, même si on coupe le robinet du CO2. Alors ce que je pense qu’il faudrait faire d’ici à cet horizon-là : commencer à expérimenter à grande échelle des expériences de dépoldérisation et de déconstruction sur les littoraux, mais aussi de restauration des écosystèmes. C’est ça que je pense qu’il faudrait faire parce qu’on a besoin de retours d’expériences grandeur nature.

Klima : Ça serait intéressant d’avoir des zones expérimentales sur les écosystèmes, il pourrait y avoir des mélanges entre ceux qui étudient les écosystèmes de manière scientifique et ceux qui les étudient de manière expérimentale.

EC : Oui, sur ces espaces expérimentaux de dépolarisation, on mesure précisément comment s’élève le sol, comment est piégé le carbone, quelle est la dynamique de la végétation, etc. Effectivement, il faut faire des expériences. Le paysage 2050, je l’imagine avec une agriculture locale, car aujourd’hui, notre autonomie à La Rochelle n’est pas bonne. Les céréales que vous voyez autour elles vont être exportées de l’autre côté de l’Atlantique, ce qui fait fonctionner le port autonome, mais s’il y a une crise, ça posera problème. 

Zones à Défendre ?

Klima : On se demandait si les Zone à Défendre pouvaient contribuer à protéger certains milieux ? Comme la ZAD de Bretignolles-sur-Mer qui allait à l’encontre de l’installation d’un futur port, qui doit s’installer sur des terres agricoles et une zone humide.

EC : Effectivement, pour la ZAD de Bretignolles-sur-Mer, les occupants de la ZAD ont eu gain de cause pour défendre ce milieu. Je ne sais pas combien d’heures par an sort un bateau de plaisance, mais c’est vraiment ridicule. On construit un port en dégradant une zone de marais, ça va à l’encontre de tout ce qui se raconte dans le milieu scientifique sur les problématiques littorales. C’est comme Notre-Dame-des-Landes, on martyrise le fonctionnement d’un écosystème pour construire quelque chose dont on pourrait se passer. 

En temps difficile…

Klima :  En temps difficile quel serait ton territoire ou ton lieu refuge ?

EC : Si c’est l’option, grosse catastrophe où on ne peut plus trop bouger, tout devient cher, on ne peut plus prendre sa voiture, on ne peut plus prendre l’avion, etc. Je reste à La Rochelle. Si j’ai le droit au vélo électrique, j’aimerais bien être sur une de nos deux îles, Rée ou Oléron.

Klima :  Et si tu avais des antennes de langoustine, tu aimerais capter quoi ?

EC : Ça serait intéressant qu’on perçoive mieux les souffrances de la nature, la souffrance animale, la souffrance des forêts, parce que je pense que l’on n’en a pas conscience du tout. On est en train de s’extirper de plus en plus de la nature. Je pense que si on pouvait avoir un sens qui nous renvoie à cette souffrance, ce serait peut-être pas plus mal pour nous autolimiter.

Klima :  Et si tu étais un autre être vivant ? 

EC : Un ours, j’aime beaucoup les ours et les orques. Ce sont vraiment des animaux qui me fascinent. En plus, c’est marrant parce que les Indiens, ils pensaient que l’homme, c’était un ours qui avait mal tourné.

Klima :  Merci beaucoup ! 

EC : C’était un plaisir de vous rencontrer.