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Vers la reconfiguration spatiale d’un bourg Martiniquais

Auteur·e : Louise Febrinon

Architecte + DSA Risques Majeurs,

Diplômée en architecture, Louise interroge la conception du métier d’architecte à travers plusieurs terrains de recherche soumis aux risques naturels et anthropiques en France et à l’étranger. Elle a suivi une formation en Risques Majeurs à l’ENSA de Belleville qui lui a apporté des outils d'analyse, diagnostiques structurels et sanitaires, entretiens et études anthropologiques, afin de comprendre et de mieux traiter la stratégie de réponse architecturale face à l'urgence. 



Le contexte

Contexte géographique et social du Prêcheur

La commune du Prêcheur, d’une superficie de 2922 hectares et peuplée de 1600 habitants se situe entre le volcan de la montagne Pelée et la mer des Caraïbes, au Nord-Ouest de la Martinique. L’urbanisation de la commune a très fortement augmenté son exposition aux risques naturels (séismes, glissements de terrain, évolution du trait de côte et montée du niveau de la mer, liquéfaction des sols ou encore coulées de boue d’origine volcanique plus communément appelées lahars). Déjà reconstruite à deux reprises au cours du XXème siècle suite à des éruptions, la commune du Prêcheur vit avec les risques depuis des générations. L’éruption de 1902 avait tué quatre cents Prêchotains et avait déclenché un mouvement migratoire mal accepté par les communes voisines. Ainsi, après un referendum en 1930, les habitants ont décidé de rester sur leur territoire, qui, bien qu’instable regorge de ressources, offertes par une terre volcanique fertile et par la mer. 

Aujourd’hui, des lahars et la submersion côtière menacent de destruction plus de la moitié des habitations (dont une grande partie située sur le littoral). Malgré un exode des jeunes entraînant une baisse de la population, il est compliqué de trouver, sur le territoire communal, des terrains où implanter de nouvelles habitations à l’abri des risques. En effet, il y a d’un côté les terres agricoles à préserver, qui conditionnent une grande partie de l’activité économique de la commune, et de l’autre la complexité du site à flan de volcan où seules les crêtes des mornes (reliefs de l’île) offrent des possibilités d’implantation.

L’appel à projets, les équipes constituées et l’introduction du projet 

Face à la récurrence des risques naturels et la décroissance de la population, le maire du Prêcheur, Marcellin Nadeau, soutenu par la DEAL Martinique (Direction de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement) a lancé un appel à idées en 2015 « Adapter le littoral du Prêcheur au défi du changement climatique » adressé à des architectes, urbanistes et paysagistes, afin de repenser le développement de sa commune face aux phénomènes naturels, dans le cadre de la révision du POS (plan occupation des sols). 

« Toute communauté humaine – fût-elle la plus petite- qui disparait, c’est un appauvrissement pour l’humanité. А partir de là, nous nous disons déterminés à tout faire pour que notre population vive sur ce territoire choisi, » déclaration de Marcellin Nadeau, au Forum Bodlanmé, Schoelcher, juin 2018.

Dans un premier temps, c’est en 2015 dans un cadre universitaire que des étudiants du DSA d’architecte-urbaniste de l’école d’architecture de la ville et des territoires (ENSA Paris-Est) ont répondu à cet appel à idées en établissant des diagnostics et des pistes de réflexion prospectives sur l’avenir de la commune. L’enjeu principal de cette étude était de mettre en avant les possibilités de restructuration du territoire afin de limiter l’exposition des habitants aux risques, en s’inscrivant dans une démarche écologique et de développement. 

Suite à cela, en 2018, le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) a mandaté l’atelier Philippe Madec accompagné d’une équipe pluridisciplinaire (Laure Thierrée, Monono, Kant é Kant, Ingéfra et Louis-Félix Ozier Lafontaine) afin d’assurer la maîtrise d’oeuvre urbaine, paysagère et sociale de ce renouvellement territorial inédit.

Les concepts clés

Un projet sur plusieurs temporalités

Menée par Antoine Petit-Jean (chef de projet à l’atelier Philippe Madec), l’équipe a élaboré une stratégie de recomposition spatiale sur plusieurs temporalités : la construction d’une école refuge parasismique et paracyclonique, puis le déplacement des habitants vulnérables aux risques volcanique et de submersion grâce à la construction de nouvelles habitations proches du centre-bourg. C’est l’agence tectône dans le cadre de «l’opérations d’habitat renouvelé en Outre-mer» qui a été le premier lauréat de l’appel à projets pour la construction de ces 125 logements collectifs et individuels, trois autres équipes ont elles aussi été retenues (1er lauréat : tectône associé à Architecture & Développement, YCF et Element Ingénieurie pour « La vie sur les mornes » 2ème lauréat : Meat pour « Té Lanmou » Et 3èmes lauréats ex-aequo : Koz pour « Noutéka » et Poullain pour « Le lieu des possibles »).

Les habitants des logements spontanés situés sur le littoral et fortement menacés par les risques de submersion sont les premiers qui seront déplacés et relogés. 

Cette migration est bien acceptée par les habitants. Cela tient notamment à la qualité des nouveaux logements prévus, qui, en plus d’être sur une zone protégée des risques, offriront aux habitants un confort supérieur à celui qu’ils connaissent, tout en respectant le plus possible leurs demandes et volontés (relogement de plusieurs voisins côte à côte, maison de plain-pied, proximité du bourg ou encore vue sur la mer…). La nouvelle localisation prône aussi une mixité des usages faisant cohabiter des habitats individuels, des bâtiments de logements collectifs, de l’agriculture urbaine, des équipements et des commerces. 

D’un point de vue urbain, les études de maîtrise d’oeuvre urbaine de Philippe Madec prévoient un aménagement progressif du nouveau secteur urbanisé , pour des raisons sociales et budgétaires : dans un premier temps l’aménagement de terrasses cultivables, puis la mise en place de circulations piétonnes (wets) entre les mornes et enfin une densification progressive avec de l’habitat plus ou moins dense ainsi que des équipements et des commerces.

La co-conception du projet avec les habitants

L’atelier Philippe Madec, maître d’oeuvre du projet urbain, a réalisé les études de conception en étroit lien avec les habitants. Tout au long de la démarche, les Prêchotains ont été invités à penser et à imaginer leurs nouveaux modes de vie, plus résilients face à l’instabilité du littoral et de la montagne Pelée. Ce temps de concertation s’est traduit par des permanences architecturales et urbaines régulières, afin de décrypter les modes d’habiter au Prêcheur. Sur douze mois, différentes actions ont été menées telles que des ballades urbaines, des tables rondes, la création d’un atlas des modes de vies mais aussi des ateliers dans les écoles pour que les enfants participent à la transformation de leur commune et à l’adaptation de leurs modes de vie.

Un travail particulier avec les agriculteurs a permis de déterminer quelles parcelles étaient les plus aptes à recevoir les futurs logements. La protection des terres agricoles a été placée au centre de la réflexion car c’est en partie pour ce sol très fertile que les habitants restent au Prêcheur et, selon la paysagiste Laure Thierrée, il serait facilement possible de tendre vers une autonomie alimentaire localement. Ainsi, l’urbanisation des mornes se fera petit à petit avec des logements répondant aux normes parasismiques et paracycloniques. 

Une zone en évolution constante

En priorité, c’est la population située dans les franges littorales qu’il est nécessaire de mettre à l’abri des submersions marines et des lahars. Elle s’est implantée de manière informelle dans la zone des 50 pas géométriques, qui est légalement non habitable. Sous l’Ancien Régime, une bande de 50 pas (81,50m) mesurés depuis le bord de la mer a été définie comme propriété de la Couronne de France sur tous les Outre-mer, afin de s’assurer une protection militaire et un passage facile sur les abords des îles. Aujourd’hui cette zone appartient à l’État et la vente des terrains y est interdite ce qui n’empêche pas l’implantation d’habitations spontanées. Le déplacement d’une partie de la population du Prêcheur hors de cette zone leur assure une meilleure protection contre les aléas climatiques. Après démolition des habitations vulnérables, les terrains redeviendront des espaces naturels pour la biodiversité. 

Pourquoi on en parle ?

De l’étude à la réalisation, l’exemple d’un projet résilient

La commune du Prêcheur est représentative du contexte antillais et des questions territoriales liées aux risques majeurs et représente ici, à nos yeux, un exemple en terme d’adaptation. En effet, avec cette expérience pilote, la Mairie n’attend pas d’être dans l’urgence de la catastrophe pour faire évoluer les modes de vie des habitants et adopte une posture d’anticipation. Bien que la démarche se fasse sous couvert de l’expérimentation, il est intéressant de voir concrètement un projet de reconfiguration spatiale se réaliser, et dépasser le stade de l’étude. 

De ce que nous pouvons en voir, le projet est un exemple de concertation réussie entre la Mairie, les maîtres d’oeuvre et les habitants impliqués et placés au coeur de la réflexion. Agir en amont d’une potentielle catastrophe et non pas dans l’urgence a permis de prendre le temps nécessaire à la co-construction d’une vision partagée d’un territoire. 

Des réalisations innovantes  

En terme de calendrier, les quatre équipes lauréates de l’appel à projet sont aujourd’hui invitées à construire chacune un prototype de logement. Ces habitations hébergeront 8 familles et feront office « d’espaces témoins » pour la suite des constructions. Les chantiers des prototypes commenceront en septembre 2022, puis les permis de construire pour une cinquantaine de logements sont attendus en décembre 2022 pour un chantier qui commencera en juin 2023. Toutes les équipes se heurtent au manque de matériaux de construction locaux, l’importation de certains éléments sera donc malheureusement inévitable. 

Le prototype proposé par tectône met en avant une technique en MPC (Murs de Pierres Confinées) développée et testée depuis 2010 par Architecture&Développement inspirée de techniques vernaculaires Martiniquaises. Le MPC reprend la technique constructive des gabions : des cages en grillages confectionnées sur place et remplies de pierres provenant des lahars qui sont présents à profusion sur le site. Déjà expérimentée sur d’autres territoires, cette mise en oeuvre répond aux normes parasismiques mais limite la construction à quatre mètres de hauteur. L’étage est donc construit avec une structure métallique elle aussi parasismique (développée par YCF) avec ou sans remplissage en bois. L’intention est aussi de récupérer certains matériaux (vitrage, tôles..) provenant de la destruction des maisons situées sur le littoral afin de réduire le coût des nouveaux logements et garder une dimension symbolique en conservant une trace de ces habitations. Le projet prévoit aussi le développement des savoir-faire locaux et valorise l’auto-construction.

© Architecture&Développement

L’agence d’architecture Koz quant à elle propose un projet d’expérimentation en ossature bois et remplissage de murs à partir de briques de terre compressées et de sargasses (algues brunes) qui remplacent le ciment ou la chaux. Les sargasses sont des micro algues brunes équipées de flotteurs naturels qui leur permettent de coloniser la surface de la mer et de s’y multiplier. Elles envahissent des kilomètres de littoral dans les Antilles et sont en plus de ça toxiques. Utilisées depuis peu en construction, l’idée est de créer une ressource à partir d’un fléau écologique massif que subit le nord-est des Antilles. 

Mise en perspective

Les agences des 50 pas géométriques 

Présentes initialement sur cinq territoires d’Outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion et Mayotte), les agences des 50 Pas Géométriques sont missionnées pour définir les habitations à régulariser dans la zone des 50 pas géométriques. Sur un secteur souvent construit d’habitats spontanés, l’agence réalise des études et propose le cas échéant la réalisation de travaux ou l’élaboration de programmes d’équipements des espaces urbains. L’agence agit en complémentarité du Conservatoire du littoral qui oeuvre pour la protection des espaces naturels littoraux et de l’ONF (Office National des Forêts) qui est chargé de la gestion des forêts publiques. 

Sur d’autres sites, l’idée est, comme sur la commune du Prêcheur, d’accompagner les habitants dans une démarche de transition, de recul et d’adaptation. En Guadeloupe par exemple, dans la commune de Petit-Bourg, l’agence des 50 pas géométriques a accompagné la Mairie dans la révision de son PLU et la prise en compte des risques de submersion.

L’agence des 50 pas géométriques de Martinique organise par ailleurs chaque année un événement grand public, le « forum Bodlanmé » (bord de la mer), dont l’objectif est de mobiliser l’ensemble des acteurs autour d’une meilleure connaissance et gestion du littoral et de l’espace maritime.


Pour en savoir plus

Auteur·e : Louise Febrinon

Architecte + DSA Risques Majeurs,

Diplômée en architecture, Louise interroge la conception du métier d’architecte à travers plusieurs terrains de recherche soumis aux risques naturels et anthropiques en France et à l’étranger. Elle a suivi une formation en Risques Majeurs à l’ENSA de Belleville qui lui a apporté des outils d'analyse, diagnostiques structurels et sanitaires, entretiens et études anthropologiques, afin de comprendre et de mieux traiter la stratégie de réponse architecturale face à l'urgence.