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Vers une gestion citoyenne de l’eau : l’exemple de Terrassa

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Vers une gestion citoyenne de l’eau : l’exemple de Terrassa
Type de projet
Système de Gouvernance

Partenaires
Ville de Terrassa

Concepteur
Association Catalane des Communes et Entités pour la Gestion Publique de l’eau/ Taigua, Aigua Municipal de Terrassa/ Observatorio del Agua de Terrassa (OAT)

Lieu
Terrassa, Espagne
Milieux
Dans l’air / Immatériel

Catégorie
Communauté & Action Collective

Type de projet
Projet de territoire / Gouvernance

Modalité d'adaptation
Créer de nouvelles pratiques / Changer de comportements / Détourner les usages / Transformer nos manières de vivre, S’associer, coopérer et partager / Amplifier et enrichir les communs / Prendre en compte l’altérité

Page du projet

Le contexte du projet

Entre 2007 et 2012, l’Espagne est touchée par une crise économique et sociale sans précédent, le chômage est en constante hausse et les aides publiques diminuent peu à peu. Afin de financer l’assurance chômage, l’Espagne est contrainte de revendre ses actions dans l’entreprise gestionnaire de l’eau : Mina Agbar. C’est dans un contexte de repolitisation de la gestion de l’eau que naît une mobilisation citoyenne en Espagne. Depuis 2010, une grande variété d’organisations se soulèvent pour promouvoir la gestion publique des eaux et ainsi permettre la réappropriation de l’eau par les habitants. Ces mobilisations aboutissent à une remunicipalisation de l’eau dans plus de 105 municipalités. 

Les concepts clefs

Repolitiser la gestion de l’eau ?

 La ville de Terrassa, 3ème ville la plus peuplée de Catalogne, accorde la gestion et le fonctionnement du service d’approvisionnement en eau depuis 1941 à l’entreprise privée Minà Pùblica de Aguas de Terrassa. Lasse de céder la gestion d’un bien public à des entreprises privées, Terrassa voit naître en 2013 une organisation sociale dédiée à la lutte pour la repolitisation de la gestion de l’eau, Taula de l’Aigua de Terrassa. Elle instaure alors un processus d’information, de documentation et de communication dans le but d’engager une campagne aux élections municipales. En promettant une gouvernance plus partagée, l’organisation implique les habitants et les acteurs sociaux du territoire. La victoire aux élections municipales en 2015 conduit à la création en juin 2018 de Taigua, Aigua Municipal de Terrassa, entreprise publique appartenant à 100% à la municipalité. 

Vers un nouveau système de gouvernance

Au-delà de la remunicipalisation des services de gestion de l’eau, la ville de Terrassa met en place un nouveau système de gouvernance grâce à la création de l’Observatorio del Agua de Terrassa (OAT). Cet organe participatif rassemble une diversité de citoyens et d’acteurs sociaux, économiques, environnementaux et politiques. Son fonctionnement autonome permet d’expérimenter un système d’instance nouveau basé sur un contrôle citoyen de co-décision. Les acteurs établissent ensemble un réseau de groupes de travail chargés de proposer, conseiller, étudier ou communiquer des rapports et des recommandations vis-à-vis de la gestion de l’eau. Ainsi, les citoyens ont la parole quant à des décisions importantes prises sur la qualité de l’eau, les moyens de la gérer de manière responsable, son prix, son partage…  

L’enjeu est de taille lorsqu’il s’agit de construire un nouveau modèle durable adapté aux nouvelles formes de gouvernance de l’eau. Alors, est-ce que responsabiliser les citoyens vis-à-vis des enjeux de l’eau est nécessaire à la transition écologique ? L’appropriation de ces enjeux suffisent-ils à revoir nos modes de consommation des ressources ? Quelles solutions propose un tel modèle pour réinventer notre rapport à l’eau ? La gestion de cette ressource a-t-elle vraiment un sens à une échelle différente du bassin versant ? 

Pourquoi on en parle ?

Participation citoyenne et justice sociale

L’Observatoire de l’eau de Terrassa promeut une politique publique de proximité à la portée de tous. Un réseau d’acteurs divers participe à l’élaboration de principes fondamentaux basés sur des perspectives sociales et environnementales. Parmi ces principes, l’OAT se doit de respecter le fonctionnement de participation citoyenne en réseau contribuant ainsi à la pluralité des visions et des propositions. Cette nouvelle gouvernance de l’eau veille à garantir l’accès de l’eau à tous ainsi que de prendre en compte les différences de chacun et d’établir un “prix juste”. L’eau, ressource de bien public est ainsi rendue aux habitants dans une démarche transparente et responsable, aboutissant à une participation réelle et efficace des citoyens. 

D’autres biens communs pourraient faire l’objet d’une gestion commune et citoyenne au même titre que l’eau. Les poissons sauvages pêchés, les animaux sauvages chassés, les arbres abattus, les sédiments prélevés ou l’air que l’on pollue, par exemple, pourraient susciter des débats et des problématiques quant aux intérêts privés qui peuvent prévaloir aux choix collectifs. Les arbitrages échappent aux citoyens, qui, dans la continuité de la participation citoyenne établie pour la gestion de l’eau, pourraient s’interroger sur leur droit de regard et de décision sur de nombreuses autres ressources. 

Gérer et protéger une ressource de manière durable

L’appropriation des enjeux de l’eau par les citoyens est nécessaire dans une période bouleversée par le changement climatique et les différentes crises qui lui sont liées. L’eau, ressource naturelle essentielle à l’Homme, prend une tout autre valeur dans la démarche menée par l’Organisation. Placée au centre des préoccupations, l’OAT s’engage à respecter des principes fondamentaux à la transition écologique. Dans l’optique d’assurer la durabilité du cycle de l’eau, l’OAT s’inscrit dans une démarche de protection des écosystèmes en faisant la promotion de l’utilisation raisonnée de l’eau et de sa réutilisation.  

A l’intersection entre connaissances scientifiques et participation sociale, il s’engage à gérer durablement cette ressource précieuse en étudiant ses caractéristiques et les enjeux auxquels elle est associée. A travers une stratégie de sensibilisation dans les établissements scolaires et de participation citoyenne, une prise de conscience générale est menée à bien afin comprendre l’impact que nous avons sur cette ressource et son devenir. La démarche menée par l’OAT permet au grand public de se réapproprier une notion qui a tendance à nous échapper en tant que ressource épuisable. 

En Catalogne, la région est par exemple exposée à un risque important de stress hydriques pouvant conduire à des conflits d’usages. L’enjeu politique d’accès à l’eau douce est fort dans un contexte de manque. Quels arbitrages prendre avec la profession agricole qui a besoin d’utiliser l’eau abondamment pour irriguer les sols? L’afflux touristique en été multiplie la population des villes et interroge aussi la problématique d’accueil de populations vis-à-vis de la gestion de l’eau. La ressource étant limitée, l’enjeu économique du tourisme est-il une raison suffisante pour contraindre davantage l’accès à l’eau des habitants ? 

Reconsidérer notre rapport culturel  à l’eau

Le système imaginé par l’Observatoire de l’eau de Terrassa permet d’initier une transformation culturelle de notre rapport à cette ressource. Désormais gérée par des services publics, l’eau n’est plus considérée comme un business ni un bien mais un élément faisant partie du vivant.  La participation citoyenne permet de diffuser cette nouvelle vision et d’ainsi appréhender ces enjeux et son devenir. L’horizon d’un nouveau système de gouvernance de l’eau proposé par la ville de Terrassa représente pour beaucoup d’entités une inspiration importante.

Un défi de taille

L’exemple de Terrassa est une initiative rare de tentative d’appropriation par les citoyens de la gestion de l’eau. Dans un contexte d’urgence climatique et environnementale, un tel modèle permet d’instaurer de véritables changements au niveau institutionnel et juridique. Alors quelles sont les difficultés d’un tel système ? Pourquoi certains gouvernements ou certaines instances politiques ne sont-ils pas encore prêts à céder à ce modèle ? 

La gestion d’une telle ressource est encadrée par des normes juridiques, sanitaires, techniques et environnementales définies à une échelle nationale ou européenne. Ainsi, détourner ce système demande un soutien de l’instance qui s’en occupe.

La volonté de placer la parole des citoyens au centre de la gestion de l’eau nécessite un équilibre entre la municipalité et l’assemblée citoyenne. Seulement, au risque d’une dépolitisation, les municipalités sont parfois réticentes à la création d’un organe participatif comme tel. En parallèle, la parole donnée aux usagers est rendue difficile à cause de la technicité du sujet des responsabilités qu’il implique.

Warning

Malgré un succès partiel de la remunicipalisation de la gestion de l’eau par Terrassa Taigua , la société privée MINA Aigües de Terrassa conserve une certaine influence dont on ne connaît pas l’ampleur. Si les décisions prises quant aux bénéfices générés depuis la gestion publique devaient faire l’objet de discussion auprès des citoyens, ce n’est pourtant pas le cas.

“Nous n’avons aucune marge de décision sur la destination de l’argent provenant des bénéfices de la société publique de l’eau, au-delà de notre représentation dans le conseil d’administration de Terrassa Taigua”

Beatriz Escribano, présidente de l’Observatoire

En 2021, la transparence des actions menées est peu visible sur les réseaux de l’observatoire. On pourrait alors imaginer un système d’informations plus clair et régulier permettant d’alimenter d’autres démarches à l’échelle régionale ou même internationale. Les données ouvertes permettent de donner l’accès et l’usage libre aux usagers sans restrictions techniques, juridiques ou financières.  

A l’heure actuelle il est encore très difficile de gérer les pouvoirs entre la municipalité, Terrassa Taigua et L’Observatoire de l’eau de Terrassa. Quelques faiblesses se manifestent à cause de désaccords entre les groupes sociaux. Malgré leur complémentarité, la municipalité a encore du mal à concéder un certain pouvoir de décision aux citoyens et est suspicieuse des innovations apportées à la culture politique. Edurne Bagué, docteur en anthropologie sociale affirme :

« Nous devons travailler plus dur pour que les citoyens puissent être responsables face au conseil municipal. Car si l’eau est un bien public, les gens doivent avoir quelque chose à dire, et c’est ce que le conseil municipal n’a pas encore compris. Il ne comprend pas ce que signifie travailler avec l’OAT ».

European water movement

Mise en perspective

L’eau, ressource essentielle est aujourd’hui au cœur des préoccupations. Malgré son abondance, son devenir est une problématique majeure à l’échelle mondiale. Saisir l’importance de son existence et savoir la gérer représentent des enjeux majeurs pour les décennies à venir. 

Dans cette démarche, un projet initié par le POLAU propose un exercice de fiction institutionnelle sur le fleuve naturel de la Loire ( Les auditions du parlement de Loire).  L’expérience consiste à doter au fleuve une personnalité juridique en convoquant des paroles diverses (artistes, juristes, scientifiques, ingénieurs …) afin de faire dialoguer la ressource et les utilisateurs. L’objectif : faire parler la Loire en tant qu’entité non-humaine afin de définir ses besoins et interdépendances. 

Affiche officielle des auditions du parlement de la Loire

Certaines instances tentent d’aller plus loin pour associer des habitants aux processus décisionnels, c’est le cas du comité des usagers de l’eau de Grenoble. Certaines communautés de l’agglomération grenobloise ont développé des systèmes autonomes de gestion traditionnelle de l’eau. Afin de répondre à des problématiques à une échelle micro-locale, ces systèmes sont souvent rattachés à l’économie agricole locale des villages. Antoine Brochet, post doctorant à l’INRAE  a réalisé une étude spécifique sur l’agglomération grenobloise et son “hydro diversité territoriale” afin de valoriser une imbrication de la gestion en commun et la gestion municipale. Cette initiative met en valeur des modes d’association des habitants nouveaux et ambitieux,  à contre-courant du mouvement de remunicipalisation centralisée. Dans la prolongation de l’OAT de Terrassa, ces systèmes développés par l’agglomération grenobloise élargissent la parole et l’expertise citoyenne en transformant la culture de l’eau et en l’étendant à des problématiques plus larges.


Liens sources