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L’horizon se rapproche

Auteur·e : Jean Richer

Architecte, urbaniste et géographe,

Jean Richer a été lauréat du Palmarès des jeunes urbanistes en 2010 pour son travail sur l’urbanisme temporel. D’abord chef de groupe « ville, innovation, architecture » au Cerema Normandie Centre, il est aujourd’hui architecte des bâtiments de France dans les Deux-Sèvres. De ces expériences, il a développé une expertise sur les relations entre architecture, paysage et climat, il est président de l’association Atelier de Recherche Temporelle et effectue une recherche doctorale sur l’urbaniste et philosophe Paul Virilio et l’écologie grise à l'ENSA-Paris Malaquais. Voir le site https://a-r-t.ong/



Dans le cadre du 10e cycle des Cours publics de l’École de Chaillot dont le thème est Patrimoines et territoire. Agir pour le climat au 21e siècle.
Intervention du jeudi 07 avril 2016 à l’auditorium de la Cité de l’architecture et du patrimoine

Résumé de l’intervention

Qu’est-ce que le littoral et comment faut-il l’envisager sous les transformations du changement climatique ?

Pensons tout d’abord le trait de côte comme une limite fluctuante qui a beaucoup bougé et qui évoluera encore avec l’élévation du niveau de la mer. Pensons maintenant le littoral comme une épaisseur vécue, plus ou moins profonde selon la perception culturelle de nos pratiques. Nous obtenons à la fois un système géographique mobile et un paysage culturel mouvant. Dés lors, la culture devient un vecteur de médiation pour mieux prendre conscience des effets du changement climatique et au-delà, une opportunité pour engager une nécessaire transformation des modèles et adapter les territoires à ce nouveau paradigme.


Plan

1. Le littoral en question (introduction)

Une approche du littoral entre culture, paysage et climat

Fluctuation de l’espace littoral
(fluctuation du trait de côte en Charente-Maritime, Brouage, La Baule et Fort-de-France)

2. Phénomènes naturels, risques et effets du changement climatique

Les aléas littoraux (Frontignan, les falaises normandes, Soulac-sur-Mer, la Faute-sur-Mer)

Les effets directs du changement climatique (augmentation des températures, élévation du niveau moyen des mers et impacts spécifiques sur les outre-mer)

Les effets insoupçonnés du changement climatique

3. Éclairages internationaux (Venise, Les Pays-Bas, l’État de New-York, Banda Aceh (Indonésie), Hambourg, Saint-Louis (Sénégal), Portsmouth)

4. Expérimentations françaises d’adaptation littorale

Versus se défendre contre la mer

Maritimisation et ré-estuarisation(La plaine côtière du Centurion, Hyères)

Repli stratégique et recomposition spatiale(le lido de Sète, la falaise d’Ault)

Médiation (La Rochelle, aires marines éducatives en Polynésie Française)

5. Vers une culture de l’adaptation (conclusion)

Des projets d’interface terre-mer à inventer

Des médiations


Extraits

Une approche du littoral entre culture, paysage et climat

Qu’est-ce que le littoral et comment faut-il l’envisager sous les transformations du changement climatiques ? Pensons tout d’abord le trait de côte comme une limite fluctuante qui a beaucoup bougé et qui évoluera encore avec l’élévation du niveau de la mer. Pensons maintenant le littoral comme une épaisseur vécue, plus ou moins profonde selon la perception culturelle de nos pratiques. Nous obtenons à la fois un système géographique mobile et un paysage culturel mouvant. Dès lors, la culture devient une médiation pour mieux comprendre les effets du changement climatique et au-delà engager une adaptation territoriale.

L’adaptation aux effets du changement climatique est traitée actuellement de manière technique et considérée essentiellement selon la résistance aux risques (endiguement, dispositifs de mitigation…) Parallèlement, de nouvelles approches environnementalistes s’appliquent de manière très pertinente aux projets d’aménagement en important une ingénierie scientifique et écologique. Quelle place reste-t-il alors dans les projets pour une vision plus englobante qualifiée de culturelle ? Allant d’une vision picturaliste à l’idéal du jardin planétaire, cette approche très transversale souffre aujourd’hui d’un procès en légitimité. Pourtant, si la culture est considérée comme le quatrième pilier du développement durable, l’anticipation de l’évolution des risques à venir possède de fait une composante culturelle. Les effets des évolutions du climat auront des impacts notoires sur les paysages du fait des transitions urbaine, économique, agricole et naturelle. En réponse, une telle approche pourrait aider à concevoir l’avenir des territoires vulnérables en passant de l’adaptation technique (où chaque réponse technique correspond à un enjeu isolé) à l’invention par le projet d’une pensée intégratrice engageant un nouveau type de développement urbain résiliant.

Le trait de côte fluctue

Le trait de côte évolue constamment au gré de l’érosion ou de l’accrétion mais aussi sur des temps plus long en fonction des transgressions et récessions marines. Son appréhension par la cartographie fut lente montrant par là même qu’il s’agit autant d’un fait géographique que d’une construction culturelle.

Le trait de côte correspond à la laisse des plus hautes mers dans le cas d’une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales. Mais quelle est la longueur des côtes françaises à ce jour ? La nature fractale de la côte conduit à une longueur qui dépend de l’unité de mesure. L’érosion et l’élévation prévisible du niveau de mer d’ans un sens, l’accrétion (dépôt d’alluvions) et la poldérisation dans l’autre, font varier le linéaire.

La côte, du fait de son découpage, est de nature fractale suivant en cela « l’effet Richardson ». L’IGN indique que le trait de côte le long des 3 façades maritimes françaises est estimé à 5 850 km (1 948 km de côtes sableuses, 1 316 km de marais et vasières, 2 269 km de côtes rocheuses). Selon United States Defense Mapping Agency, cette longueur serait de 7 330 km. Selon l’ancienne mission interservices de la mer et du littoral, le trait de côte « lisse » mesure 3 240 km et avec « anfractuosités » 7 200 km… Nous voyons par là que le trait de côte est une abstraction géométrique.

Occupation humaine et cartographie

Longtemps, le rivage fut délaissé du fait de son insalubrité (la frange littorale étant alors essentiellement constituée de marais où proliféraient les moustiques) et de l’impossibilité de mise en culture. Pourtant, il constitua tour à tour un enjeu spirituel de lutte contre la nature hostile avec l’assèchement des marais par les ordres monastiques et un enjeu politique et militaire de défense des frontières maritimes françaises.
En 1662, Colbert demande à l’Académie des Sciences qu’il soit fait une cartographie exacte des frontières du royaume avec l’établissement d’un canevas astronomique qui aboutira à la publication en 1693 d’un atlas : le « Neptune françois ». Parallèlement, une cartographie plus fine à vocation militaire verra le jour : La Favolière va réaliser les cartes du Bas Poitou, de Saintonge et Guyenne de 1670 à 1677 tandis que Claude Masse réalisera dès 1679 des aménagements de fortifications pour l’Île de Ré, Bayonne, et Rochefort tout en menant de front des travaux cartographiques. Grâce à la première Triangulation géodésique de la France, Cassini de Thury présenta en 1744 un tracé du littoral proche de la réalité. En moins d’un siècle, le trait de côte était désormais « fixé » par la cartographie. Aujourd’hui nous avons recours à la photographie aérienne et l’observation par satellite pour le délimiter encore plus précisément et observer ses variations. Ce faisant nous avons conceptuellement réduit un système géomorphologie et écologique complexe entre l’espace terrestre de l’espace maritime à l’épaisseur d’un trait.

Fluctuation historique

D’autre part, la position du trait de côte est mobile par nature. Le niveau de la mer était 100 m plus bas il y a 10 000 ans et a dépassé le niveau actuel voici moins de 3 000 ans. À l’époque gauloise, le rivage charentais était plus reculé pour former les golfs des Pictons et des Santons. Depuis, le retrait de la mer associé à la poldérisation et l’assèchement des marais ont permis l’anthropisation de nouvelles terres. Aujourd’hui, nous sommes confrontés au phénomène inverse d’érosion marine qui induit un recul du trait de côte. Ce recul est accentué par le risque de submersion temporaire. La tempête Xynthia (2010) ou les tempêtes de l’hiver 2013 / 2014 ne sont pas exceptionnelles en elles-mêmes puisque les études historiques montrent que 30 tempêtes du même type ont dévasté le Poitou en cinq siècles. Outre la submersion temporaire qu’elle occasionne, chaque tempête voit le trait de côte reculer en de nombreux endroits de 10 mètres ou plus. Si l’État s’est impliqué de longue date dans la stabilisation du rivage charentais (dès l’implantation du grand arsenal maritime à Rochefort en 1666), la tempête Xynthia a mis en évidence les faiblesses des ouvrages de défense actuels qu’elle a endommagés ou submergés. Or, le changement climatique risque d’accentuer l’occurrence et l’intensité de tels phénomènes.

L’enseignement de Brouage

Nous avons culturellement une image « fixiste » de la position du trait de côte comme si celui-ci était immuable. Pourtant l’histoire récente nous apporte des contradictions notables comme dans le cas de Brouage.À partir du XIVe siècle, le commerce du sel prit une dimension internationale à Brouage et ce port devint un des plus importants d’Europe pour le sel : jusqu’à 200 bateaux venaient y mouiller. Preuve de son intérêt stratégique, le roi Henri III en fit une ville royale et la fortifia en 1578. Mais au XVIIe siècle, la baisse du niveau de la mer et de l’envasement du petit estuaire à l’embouchure duquel elle était bâtie entraîna le déclin de Brouage : l’horizon maritime s’éloigna de plusieurs kilomètres pour laisser place à une étendue de marais. L’histoire de ce port maintenant au milieu des terres démontre s’il le fallait la fluctuation du rivage.

(…)

Mireille Guiniard et Jean Richer

Auteur·e : Jean Richer

Architecte, urbaniste et géographe,

Jean Richer a été lauréat du Palmarès des jeunes urbanistes en 2010 pour son travail sur l’urbanisme temporel. D’abord chef de groupe « ville, innovation, architecture » au Cerema Normandie Centre, il est aujourd’hui architecte des bâtiments de France dans les Deux-Sèvres. De ces expériences, il a développé une expertise sur les relations entre architecture, paysage et climat, il est président de l’association Atelier de Recherche Temporelle et effectue une recherche doctorale sur l’urbaniste et philosophe Paul Virilio et l’écologie grise à l'ENSA-Paris Malaquais. Voir le site https://a-r-t.ong/