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Marcel Dinahet

Portrait
Marcel Dinahet -

Originaire de la région de Morlaix, Marcel Dinahet est un artiste plasticien, vidéaste, dont la pratique est étroitement liée au littoral. Il vit à Rennes, mais c’est à Hirel, sur la grève, en baie du Mont-Saint-Michel, que nous l’avons rencontré. Nous nous intéressons à ses travaux artistiques, ainsi qu’à son implication dans la création de la résidence d’artistes Finis Terrae, dans le sémaphore de l’île d’Ouessant, initiative qui fête ses 10 ans en 2020.


Rencontre avec Marcel Dinahet

Originaire de la région de Morlaix, Marcel Dinahet est un artiste plasticien, vidéaste, dont la pratique est étroitement liée au littoral. Il vit à Rennes, mais c’est à Hirel, sur la grève, en baie du Mont-Saint-Michel, que nous l’avons rencontré. Nous nous intéressons à ses travaux artistiques, ainsi qu’à son implication dans la création de la résidence d’artistes Finis Terrae, dans le sémaphore de l’île d’Ouessant, initiative qui fête ses 10 ans en 2020.

Entretien mené par Klima (Sophie et Marie), le 22 août 2020, à Hirel.


Une relation physique à l’espace

Klima : Marcel, pouvez-vous vous présenter ? Nous donner une idée de votre parcours personnel ?

MD : Je peux faire un petit résumé. Je vais aller un peu vite. Je suis passé par les Beaux-arts, ensuite j’ai été assistant d’autres sculpteurs, d’autres artistes, et petit à petit j’étais plus autonome. J’avais au départ une formation relativement traditionnelle au niveau de la sculpture et donc je faisais des sculptures relativement traditionnelles. Je suis originaire de la région de Morlaix, j’avais fait beaucoup de plongée, j’étais tout le temps fourré sur le littoral, dans la baie de Morlaix et puis aux alentours. A un moment, puisque j’étais tout le temps attiré par le littoral, je me suis dit, “tiens, ça serait intéressant de voir comment je pourrais m’intégrer aussi au littoral, au niveau de ma pratique”. Et donc, ce que j’ai fait pendant plusieurs années, dans les années 1980, j’ai réalisé des sculptures avec des choses trouvées sur les plages et je les mettais dans des endroits que j’aimais bien, au niveau des sites sous-marins. C’était des endroits où il y avait des serpules, ce sont des vers marins qui déposent des calcaires. Je voyais que ces sculptures – c’était petit – se concrétionnaient, devenaient plus grosses et puis disparaissaient. Ça, ça m’intéressait. J’étais seul spectateur de mon activité. C’est un peu contradictoire par rapport à l’activité d’artiste. Et donc on m’a demandé de les montrer. La seule façon de les montrer c’était la photo ou la vidéo. Donc, j’ai tout simplement fait des photos au départ et ça ne me convenait pas. J’ai ensuite réalisé de la vidéo, c’est là que j’ai appris la relation qu’avaient les éléments avec l’image, c’était tout un apprentissage par rapport à l’image en mouvement que j’ai réalisé, grâce aux éléments et au milieu sous-marin. Le ressac, par exemple, ça agit sur l’image, le corps est vraiment impliqué dans ce que l’on fait. Et, depuis cette époque-là, c’est le corps, dans un espace donné – cette relation à cet espace – qui fait que l’image existe d’une certaine manière, en fait. Et petit à petit j’ai réalisé des films, on m’a demandé de montrer ces films, et c’est là que j’ai été plus connu au niveau de mes travaux. Et donc, je m’étais dit, ce qui m’intéresse aussi, c’est d’aller voir comment ça se passe ailleurs.

Je connaissais des personnes, la Conférence des régions périphériques maritimes, c’est à Rennes. Ils s’occupent de toutes les régions périphériques et maritimes en Europe. C’est un organisme européen. Ils vont sur toutes les îles périphériques, au nord de l’Écosse jusqu’à Chypre. C’est une grosse étendue et donc je me disais “quel est leur programme culturel?”. Mais ils ont beaucoup de statistiques qui montrent que les activités culturelles en Europe se sont concentrées dans des centres urbains. L’espace périphérique et maritime est très délaissé. C’est à dire que l’activité artistique et culturelle se passe sur un axe Turin-Amsterdam-Londres en passant par l’Allemagne. C’est très central. On voit bien en France, c’est encore central.  Et je me suis dit « tiens, c’est intéressant, je vais faire le contraire. Je vais aller dans les endroits les plus mis à distance par rapport à tout ça. Je vais travailler, toujours sur la périphérie, en littoral et en plongée. » Et dans les années 2000, j’avais fait une vidéo qui s’appelait « Les Finistères », qui était importante dans ce que j’ai fait et qui allait du nord de l’Écosse jusqu’au Portugal, en passant par l’Irlande et l’Angleterre. Et au passage je faisais des expositions, dans les centres d’art, les petits centres d’art locaux et donc c’était aussi une histoire de relations à tout ça qui fait que ça avait généré un comportement. À l’origine, c’était le littoral, mais le littoral a apporté ce rapport à l’espace un peu global et aussi des positions par rapport à la pratique artistique et au positionnement par rapport à ce que je fais. Donc, c’était important et depuis j’ai toujours pratiqué ça, Je suis allé en résidence, même jusqu’à Vladivostok, en Russie, à Kaliningrad, sur des littoraux.

Klima : Vous avez toujours travaillé sur la mer ?

MD : Sur le littoral, sur un espace ouvert, sur les interfaces. Ce qui m’intéresse ce sont les interfaces, puisque j’étais souvent dans l’eau, dans cette interface, en fait, puisque, pour moi c’est un espace ouvert où il se passe toujours quelque chose. C’est ouvert vers le large. Et donc, cet espace ouvert, ça m’a toujours intéressé.

Klima : D’accord. Parce qu’il est toujours en mouvement ? parce qu’il change tout le temps ? C’est une ligne directrice dans votre travail et ça ne vous a jamais ennuyé, vous avez toujours travaillé sur la même thématique ?

MD : Oui. Par exemple, pour revenir à l’actualité, j’ai travaillé pour l’exposition du FRAC Bretagne, je suis allé dans le même endroit, me positionner pendant un an dans le même endroit et je n’ai jamais agi de la même manière. C’est à dire qu’ici, par exemple, demain si je viens ici, je n’aurai pas la même lumière, je n’aurai pas le même espace. Je n’aurai pas la même sensation d’espace. Donc, j’agis différemment et j’ai un comportement différent par rapport à ce que je vais enregistrer dans cet espace donné. Ce qui fait que cette variété, qui est presque permanente, nourrit mon travail au niveau de la diversité que ça donne.

Klima : D’accord. Est-ce que vous sauriez nous parler des premières fois où vous avez été en contact avec la mer ?

MD : Quand j’étais petit, dès qu’on a pu faire du vélo, gamin, j’y allais. A Locquirec, chercher des coques, quelquefois des ormeaux. Ados, on avait restauré un vieux cotre, on naviguait un peu. C’était une relation au milieu marin qui était vraiment à l’origine.

Klima : Est-ce que vous avez déjà vécu loin de la mer ?

MD : Non, où j’ai vécu le plus loin de la mer c’est quand j’étais en résidence à Moscou. Mais on était près d’un lac, peut-être que ça a compensé un peu. J’ai l’impression que si je suis loin de la mer… par exemple, je suis allé en résidence quelques mois au centre de la France, et je ne me sentais pas à l’aise. Je n’arrive pas à trouver un espace ouvert.

Klima : Quelle est votre perception de l’espace ouvert ? L’ouverture on pourrait aussi la trouver par exemple dans les déserts ?

MD : Oui, je pense que ça me plairait.

Klima : C’est le fait de voir loin ?

MD : Non, c’est une sensation, comment physiquement le regard perçoit… Ce n’est pas de voir loin. Je ne pense pas. C’est une sensation de pouvoir s’échapper. Que le regard puisse s’échapper quelque part. ça revient à voir loin, mais ça n’est pas la même chose tout à fait.

Klima : Il y a la question de la solitude aussi ?

MD : Peut-être, mais pas nécessairement. Il y a aussi la question de la solitude, oui, aussi. Où j’ai trouvé la question de la solitude, où je l’ai expérimentée mais je n’avais pas le droit de le faire, c’est quand j’allais pour les Finistères, je plongeais dans des endroits à la bouteille, au nord de l’Ecosse ou en Irlande. Je plongeais tout seul, ce qui est interdit. A 10-15 mètres de fond, je me disais « personne ne sait où je suis et personne ne me voit. » . C’est-à-dire que je suis en dehors de… et comme sensation c’est intéressant, d’avoir cette sensation-là.

Par exemple, récemment, avec mon petit bateau, je suis allé à Ouessant. Et en principe, ce bateau-là il ne peut pas y aller, parce qu’il n’est pas homologué pour la haute mer, puisqu’il y avait des creux de 2 mètres. C’était en juin dernier. Et j’ai éprouvé la même sensation. Puisque j’étais seul, dans des éléments très forts. Dans ces endroits-là, on mesure vraiment la force des éléments. Ces relations aux éléments, on ne peut pas les restituer ne serait-ce que par l’image, peut-être pas par les récits non plus. Ce qui est particulier, c’est qu’on ne peut pas les restituer avec les moyens actuels que l’on a, sans que cela tourne dans le spectaculaire. C’est autre chose, ça va au-delà, à ce que l’on perçoit, par rapport aux éléments, et au rapport de soi avec ces éléments-là.

Klima : A la vie aussi ?

MD : C’est très important, ça ne peut pas se raconter, ça ne peut pas se filmer.

Klima : Ca se transmet quand même, vous ne trouvez pas ?

MD : Au niveau des sensations que l’on perçoit, c’est difficile à transmettre, au niveau des mots. Je trouve. Dans mon petit bateau, j’étais au ras de l’eau, à 50 cm au-dessus de l’eau, on voit des gros trucs qui arrivent et on passe par-dessus par un effet magique. On a l’impression qu’il y a un truc qui se déchaine autour de soi. La relation entre le courant, les hauts fonds, qui font qu’il y a des trucs croisés, qui sont un petit peu dangereux, mais qui sont négociables quand même. Il faut être seul pour négocier ce genre de chose.

Klima : Pourquoi ?

MD : Je pense qu’il faut être seul pour vraiment sentir les éléments et pouvoir se débrouiller avec ce qui se passe réellement. Un petit bateau dans ces éléments-là, ça peut vite déraper. J’ai trouvé ça intéressant. Le bateau est petit, il fait 4,5 mètres. Ça fait effet bouchon. Il faut bien le diriger. Heureusement que j’étais seul. La personne qui peut être avec vous peut avoir des avis différents. Essayer de négocier ça différemment. La sensation d’isolement c’est une des choses que j’ai éprouvée à ces moments-là. Mais ça n’est pas l’essentiel de mon travail.

Le changement, sur le littoral, est permanent

Klima : On a axé notre recherche autour de l’adaptation au changement climatique et donc du changement. De cette idée de changement, qu’on perçoit aujourd’hui de moins en moins, car on est habitué à des choses un peu fixes, qui rassurent, qui ne bougent pas. Vous avez travaillé sur l’idée d’évolution, de changement. C’est plutôt dans cet axe-là qu’on voudrait vous poser des questions, en lien avec un changement de perception.

MD : J’ai plusieurs avis là-dessus puisque, si vous voulez, le changement, quand on est sur le littoral, il est permanent. C’est dire qu’aujourd’hui, ici, on n’a pas la même lumière qu’hier et on n’a pas le vent qui a la même direction et la hauteur de la mer à cette heure-là n’est pas la même. Ça veut dire qu’il y a une permanence dans le changement. Je pense, puisque, peut-être que dans une semaine, l’eau sera près de nous à cette heure-là et donc c’est difficile de percevoir les changements sur le littoral, mais c’est aussi un avantage, dans la mesure où, surtout en Bretagne, c’est permanent. Je ne sais pas comment ça se passe en Méditerranée, mais c’est peut-être un peu différent.

Klima : C’est un peu plus doux.

MD : C’est plus doux. Il n’y a pas de grosses marées. Mais, par exemple, c’est intéressant comme règle de vie, ça agit beaucoup, puisqu’il n’y a pas de certitudes par rapport à ce que l’on va découvrir sur le littoral. Par exemple, si on fait du bateau, il faut tenir compte des courants, il faut tenir compte de la météo, le chemin que l’on va prendre ne va pas être celui d’hier, puisque ce sera celui à une heure donnée, avec les courants. Et donc, je trouve que c’est intéressant au niveau de la vie de tous les jours, c’est-à-dire que ça nous met en face de quelque chose qui nous dit que les certitudes que l’on a sont peut-être à mettre en cause. C’est à dire que, par rapport aux idées que l’on s’est faites, ça nous permet souvent de les mettre en cause aussi, à ce niveau-là, c’est à dire que nos certitudes sont hyper fragiles.

Klima : Est-ce que c’est quelque chose que vous avez cherché à montrer dans votre travail ? Cette idée de changement constant, d’évolution, de transformation, de mouvement ?

MD : Je crois que c’est visible pour ceux qui veulent bien le voir. On va dire que c’est parce que ça change souvent. Il y a toujours des déplacements qui se font dans ce que je fais. Donc, c’est ça qui est intéressant, parce que si je travaille aujourd’hui, par exemple, quand vous aurez vu ce que je vais faire, bien sûr, c’est issu de ce que j’ai déjà réalisé, mais il y aura toujours des déplacements qui vont s’opérer et c’est intéressant sur le littoral puisque je ne travaille pas en atelier. Ici, c’est mon atelier en fait. L’atelier, je considère que c’est ici. Mes vidéos sont à l’état brut, elles ne sont pas montées. Ce sont des plans séquences. C’est issu de ce que j’ai réalisé ici, il n’y a pas de transformation, je ne mets pas plus de lumière, je ne mets pas plus de son, c’est à l’état brut.

Klima : Pour vous rendre compte qu’un même endroit peut être différent, d’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre, retournez-vous souvent aux mêmes endroits, vous avez vos lieux repères ?

MD : Les travaux que j’ai réalisés, par exemple ceux qui sont nommés « Cherrueix », sont réalisés sur peut-être 10 mètres sur 10 mètres, pendant un an. Ça paraît très différent les uns des autres.

Klima : Comment avez-vous choisi ces 10 mètres sur 10 mètres ?

MD : Je ne les ai pas choisis. Je me suis arrêté à un moment donné où je sentais que c’était vraiment l’endroit où je voulais travailler. C’est pas le fait de choisir, c’est pas comme ça. A un moment donné je me suis arrêté pour travailler à un endroit précis, et sans me poser la question je suis revenu le lendemain et le surlendemain et ensuite un mois après et ensuite deux mois après. C’est pas le fait de choisir, si je choisis, je suis fixé sur un endroit. Ça vient aussi des histoires de comportement. Je me laisse la souplesse de changer du jour au lendemain.

Klima : Qu’est-ce que vous cherchez à montrer dans votre travail ?

MD : Je ne cherche pas à montrer quelque chose. Montrer ça veut dire monstration.

Klima : Ou dire quelque chose ?

MD : Pour résumer, c’est de voir comment, justement, le fait d’être quelque part, dans un moment précis, ça agit sur mon comportement, ma relation au paysage et comment je vais le traduire. Comment je me trouve dans cet endroit, qui fait que, vous savez très bien que le rapport au corps, aux déplacements est très important dans ce que je fais, et ça agit sur ce que je fais. Comment cette interaction entre ce que je vis, le paysage, et la relation au paysage va faire que je vais agir à un moment donné de cette manière, que je n’avais pas prévue. C’est ça qui m’intéresse en premier lieu.

Klima : Et vous avez toujours un rapport au sous-marin ou c’est quelque chose de plus ancien ?

MD : Non, pas en ce moment. Dans « Finistères », c’est les années 2000, ça fait loin. Je me trouvais toujours dans l’interface. Je m’étais posé surtout la question, c’était par rapport globalement au regard sur le paysage qu’avaient les gens, j’allais sur les extrémités, les finistères. Il y a Land’s End en Angleterre. J’étais allé à la presqu’île de Crozon. J’étais allé au cap Finisterre, en Espagne, Mizen Head, en Irlande, et j’avais choisi des endroits où les gens regardent le paysage, vont voir le paysage, puisque j’étais allé au Cabo da Roca au Portugal avant et les gens viennent le dimanche. C’est un cap qui a un monastère et donc sur ce cap, avec le monastère, ils viennent regarder le paysage et donc ils regardent la mer, ils regardent l’horizon et se prennent en photo comme ça, devant, et ensuite, ils vont écouter le match de foot dans leur voiture. Et donc je trouvais ça intéressant cette relation, la sortie du dimanche pour regarder l’horizon de très haut et ensuite aller écouter le match de foot dans la voiture. Je trouvais ça intéressant et en même temps, je me suis disais « tiens, c’est intéressant, mais si ils descendaient à 50 mètres en dessous pour aller se balader, ils pourraient voir des choses très différentes », il y a des petits chemins qui le permettent… Mais non, ils ne font pas l’effort d’y aller. Et donc, à chaque fois, j’allais plonger dessous pour montrer ce qu’ils ne voyaient pas directement. Et ensuite, j’avais expérimenté ce qui leur était pratiquement accessible, mais pas visible directement. Et donc je mettais ça en image.

Klima : Comment vous leur avez montré ?

MD : J’ai mis ça dans la vidéo, vidéo qui a été montrée dans les centres d’art. Je ne l’ai pas montrée aux gens. J’avais fait ça sur toutes les pointes, tout simplement parce que c’est un horizon qui est vu, vu et revu et connu dans la mémoire des gens. Et j’avais montré qu’il n’était pas directement visible dans ces espaces. Et ça, je l’ai fait souvent, surtout quand je pouvais, je montrais beaucoup de ce qui était proche des gens, mais pas directement visible, puisque l’espace sous-marin il est tout près en fait, quand on se balade sur le littoral.

Klima : Ce qui vous a intéressé, c’était de montrer, on va dire, de partager des choses qui n’étaient pas vues ou pas perçues ?

MD : Pas directement, oui.

Finis Terrae, résidence d’artistes à Ouessant

Klima : On peut parler un peu de Finis Terrae, de l’association ? Ça fait 10 ans que vous l’avez co-créée, vous étiez combien ? C’était une initiative commune ?

MD : C’était une initiative commune, c’est-à-dire que moi, j’étais là-bas depuis longtemps. Et puis on avait fait un atelier, moi, j’étais encore aux Beaux-Arts, on avait fait un atelier à la Martinique. On a travaillé à Fort-de-France dans une favela avec les étudiants. Et puis, une critique d’art, très jeune, est arrivée et puis on a discuté, Célia Crétien. On commence à discuter pendant la soirée. Moi je lui dis que j’étais à Ouessant et que je voudrais bien faire quelque chose là-bas. En discutant, je lui dis qu’on pourrait faire ensemble une association, là-bas, et puis on va diffuser les films d’Epstein, et puis on va commencer par faire quelque chose là-bas. Puisque je lui ai dit que l’idée pour moi, c’est de montrer des choses qui soient hyper intéressantes dans des endroits très éloignés des grands centres culturels. Il n’y a aucune raison que ça soit toujours à Paris ou dans les grands centres urbains qu’on montre les choses qui sont vraiment intéressantes au niveau culturel. Et donc, je lui ai dit on va faire un programme, puisqu’on connaît beaucoup d’artistes, on va faire un programme avec la Cinémathèque de Bretagne et on a commencé comme ça. On a fait naître une association et on s’est réuni à plusieurs. On était quatre ou cinq je crois de l’asso, et on a commencé à montrer des films de tous les artistes qui travaillent sur le littoral en France, d’abord. Et on a fait des journées en montrant des portraits que j’avais fait des acteurs du film Finis terrae, des descendants des acteurs. Et puis, comme on connaissait les gens sur place, on a fait venir les gens de Ouessant voir les films. Puis on a vu des rushs qui avaient été faits, anciens, qu’ils nous avaient sortis de Finis Terrae. Et puis, on a commencé, comme ça, à créer l’association Finis Terrae, mais pas en résidence. Pour la deuxième année, c’était à l’époque où il y avait Laure Prouvost, qui était à Londres, qui était très jeune et qui avaient fondé dans les années 2000 une télévision sur internet qui diffusait des petits films d’artistes, en Angleterre surtout. Je ne sais pas comment elle avait vu mes travaux. Et donc elle avait créé cette télévision. Ça s’appelait Tank TV. Au niveau du design, c’était super beau et tout, c’était surtout connu. Et j’allais à Londres, parce qu’à partir du moment où j’ai montré des vidéos là-bas, j’ai commencé à montrer des travaux aussi dans les endroits un peu alternatifs. Et après, j’ai eu une carrière là-bas. Mais on a aussi fait une programmation Tank TV à Ouessant. Et donc ça a commencé comme ça. Et puis après je suis resté en résidence là-bas, et j’ai rencontré la personne qui s’occupait de restaurer le sémaphore, à l’époque. C’est le Département qui avait acheté le sémaphore. Donc ça fait 10-15 ans. Elle savait ce qu’on faisait à Ouessant, ce qu’on commençait à faire, à diffuser des films. Et elle m’a dit « votre association ça nous intéresserait parce qu’on restore le sémaphore et on aimerait bien que vous programmiez des artistes dans cette résidence ». Et donc, on a commencé comme ça. Je suis président, toujours, de cette association. C’est Ann Stouvenel qui est directrice artistique de notre association.

Pour résumer l’association, on essaye d’étendre l’association à un centre d’art insulaire. On veut en faire un centre d’art insulaire. Puisque l’idée c’est, justement, on a beaucoup de travaux qui sont produits par les résidents, par exemple Ulla von Brandenburg a ses travaux qui ont été réalisés à Ouessant, qui sont montrés au Palais de Tokyo en ce moment, mais que les gens de Ouessant ne peuvent pas voir, n’ont pas vus. Et donc il y a beaucoup de travaux comme ça qui sont montrés et diffusés dans des endroits un peu prestigieux, de culture, mais qui ne sont pas montrés à Ouessant, on se dit c’est pas bien du tout. Nous, on va diffuser, on va essayer de trouver les moyens de diffuser les travaux sur les îles du Ponant parce que sur les îles du Ponant, l’avantage, c’est qu’elles ont des salles polyvalentes et des médiathèques qui sont bien équipées. Donc, on va essayer de se débrouiller avec ça, parce que nous, on ne veut pas avoir de locaux permanents. On ne veut pas avoir de bureaux, on ne veut pas avoir de téléphone à payer, de secrétariat à payer, d’électricité à payer, on veut que ce soit des artistes et nous qui puissions travailler dans une permanence plutôt que d’engager le peu d’argent qu’on a dans des frais fixes. Donc on a commencé par expérimenter ça et ce qui fait que, comme la résidence commence à être connue, puisqu’il y a eu des artistes quand même intéressants qui sont venus, on a un projet d’échange à Saint-Pierre-et-Miquelon, et ça va se faire. On va changer les artistes. Et aussi, il y a une jeune femme, jeune commissaire qui est installée sur l’île de Chiloé, au Chili, qui a créé un centre d’art là-bas et qui, justement, va aussi organiser des échanges avec nous.

Klima : Donc vous seriez un point de liaison avec d’autres îles ?

MD : Avec d’autres îles, oui. Et donc, on essaye de faire ça. Mais ce qui nous manque, c’est qu’on n’a pas les moyens pour financer l’envoi les artistes.

Klima : Donc vous continueriez de proposer une résidence sauf qu’elle aurait lieu ailleurs qu’à Ouessant ?

MD : Oui, bien sûr, mais ça, on essaie de mettre ça en place. On essaie d’avoir les moyens de le faire.

Klima : des partenariats de résidence ?

MD : oui, des partenariats, des renvois, la structure extérieure nous renvoie un artiste. C’est à dire que nous on n’a que deux mois de temps de résidence puisque le sémaphore est réparti entre plusieurs associations. Et donc, on a que deux mois par an et ces deux mois par an c’est vite passé.

Klima : Est-ce que vous pensez que, dans l’objectif de départ, quand vous avez créé l’association et les résidences, il y avait un lien avec cette idée d’être sur une île, d’être isolé et d’être en rapport avec ce grand horizon ?

MD : On ne fait pas d’appel à projet. Les artistes, ils peuvent avoir un projet dans la tête, mais on ne leur demande pas nécessairement de nous le dire, et il n’y a pas d’obligation de production. C’est à dire qu’ils peuvent rester se reposer s’ils veulent. Très peu, le font, personne ne le fait, mais si vous voulez, ce qui fait que, comme c’est un espace dans lequel ils se projettent et qu’ils ne connaissent pas, on laisse l’espace libre pour leur conception du projet. C’est à dire que le projet, même s’il en ont un, il, va évoluer très vite au contact de l’espace. C’est quand même très particulier d’être seul au bout de l’île et dans cette relation au paysage qui est quand même très particulière. Certains viennent avec des idées, des idées de fonctionnement, de forme, mais dans le contenu, ce n’est pas très précis. Et puis ça évolue avec ce qu’ils vont vivre sur place. Mais par contre, cette relation au paysage, au littoral et à la spécificité de l’île, elle est très forte et c’est ça qui déclenche la plupart du contenu de leur travail, en permanence.

Klima : Donc, on va dire que c’est le lieu ?

MD : C’est le lieu … c’est l’environnement dans lequel ils vont se situer. L’environnement c’est vaste, c’est le paysage, c’est le climat, c’est l’hiver, c’est l’été.

Rendre compte des changements d’ici

Klima : Quand on vous parle de l’idée d’adaptation, ça vous évoque quoi ? Adaptation au changement climatique, au changement.

MD : Adapter, c’est bien, c’est-à-dire qu’on est toujours obligé de faire avec ce qu’on a. C’est ce que j’ai appris. Je fais avec ce que j’ai, je fais avec ce que je rencontre. Mais s’adapter aux changements ? c’est la question que je me pose. En ce moment, il y a beaucoup d’expéditions, même des artistes, qui vont en Arctique. Et donc, ils vont constater que ça change. Oui, d’accord, ils vont tous constater que ça change, mais ici ça change beaucoup aussi. C’est plus difficile de faire le constat que ça change, pour nous, ici.

A un moment donné, ici un de ces quatre, les gens vont avoir de l’eau jusqu’à leur porte, quand il y aura une grande marée et le vent dans le bon sens. Ça va arriver.

Cette histoire d’Antarctique, ça me tracasse un peu. Les artistes ont beaucoup de moyens pour y aller. Tout est fait pour que ça soit connu et reconnu. Alors qu’il y a les mêmes phénomènes ici, mais ils sont moins visibles.

Klima : Vous pensez qu’on ne parle pas assez de ces changements, en Bretagne par exemple ?

MD : Comment on peut les montrer ? Comment en parler ? C’est sans doute la question que vous vous posez, vous ?

Klima : Comment on peut traduire ces changements ? soit on ne veut pas les voir, ou ils sont plus faibles, ou on ne fait pas assez attention.

MD : Ils ne sont pas plus faibles mais ils ne sont pas directement visibles, perceptibles dans le milieu marin.

Klima : Je veux dire que c’est moins spectaculaire, par rapport à de la glace qui fond, qui tombe. Comment on sort de ce grand spectaculaire et comment on peut se requestionner. Avec l’intime ? avec ce que l’on voit tous les jours et que l’on voit changer ? il y a des forts blocages dans la perception de ces changements, de freins. Je n’ai pas de réponse…

MD : Il y a des réponses. Dans le cadre de notre association on crée une résidence « Tempête ».

Klima : Pas mal !

MD : A Lédénez, près de Molène, il y a un gîte d’étape qui est utilisé l’été mais pas l’hiver. Ce gîte fonctionne avec des panneaux solaires, de l’eau de pluie…

Klima : Comme un refuge…

MD : Comme un refuge. Cette île est accessible à pied en période de grande marée. L’artiste se trouve seul l’hiver, car ce n’est pas utilisé. Ce qui s’est produit, moi, je vois ça dans le temps. J’ai constaté que les plus grosses tempêtes sont maintenant en janvier-février, et non plus en novembre. On parlait de la dépression de novembre. Ça a changé. C’est une preuve que le climat change un peu, sans doute, peut-être. A Ouessant, depuis deux ans, toutes les semaines, il y avait un avis de tempête.

Klima : Vous voulez faire travailler des artistes sur les tempêtes ?

MD : Les artistes, ça les intéresse d’aller en période de tempête. Encore faut-il qu’ils aient accès à l’île.

Passer dans un tuyau

Klima : Pour terminer, en temps difficile quel serait votre territoire refuge ou votre lieu refuge ?

MD : Ce que j’aimerais bien avoir, en fait, c’est un bateau habitable, et que je puisse naviguer par étape, aller d’un coin à un autre, mais pas nécessairement me fixer réellement quelque part.

Klima : C’est très bien comme réponse. Et si vous aviez des antennes de langoustines, vous aimeriez capter quoi ?

MD : Des antennes de langoustines ? Mais déjà, je capte pas mal de choses, je peux vous informer de ça.  Parce que je suis sourcier. Je trouve les sources. Et donc j’ai des antennes, qui ne sont pas tout à fait de langoustines, mais je capte beaucoup les choses du sol.

Klima : Aquatiques ?

MD : Aquatique…Je capte bien ce qui ressort du sol, par exemple avec une baguette je capte l’eau facilement. Donc je capte pas mal de choses déjà.

Klima : Ça vous suffit ? Vous n’avez pas besoin de capter autre chose ?

MD : Non, il y a des choses qu’il vaut mieux pas trop capter quand même. Les choses de la nature je les capte bien, en principe. J’essaye. Enfin, en tout cas, je suis sourcier.

Klima : Si vous étiez un autre être vivant qui peuple notre terre, un animal, un végétal, ou même un rocher, qui vit sur les rivages, dans l’eau ou dans les marais, quel autre être seriez-vous et pourquoi ?

MD : Je ne me suis pas posé la question. Je ne sais pas, en fait… Si si, le poulpe ! Parce que le poulpe peut passer dans un tuyau !

Klima : Vous voulez passer dans un tuyau ?

MD : Non, non, mais quand on est en plongée, le pouple c’est très rigolo. C’est très joueur. Ça s’amuse avec les mains. Tout ça. C’est très joueur comme truc. Ça a une facilité d’adaptation, de passage partout, dans des petits endroits, des grands endroits. C’est lié à son aspect caméléon. C’est rigolo comme animal quand on le rencontre.

Klima : Ces deux dernières questions nous font sortir de notre vision anthropocentrique. Ça permet de se dire « si on était un autre être » et de se mettre à la place d’autres êtres vivants qui sont là.

Klima : Merci beaucoup Marcel d’avoir répondu à nos questions.